J'ai reçu hier ce courrier :
Cher confrère,
Je suis le Dr P.S., gériatre dans le service du Professeur XXX, au CH de XXX, chargé de la consultation de mémoire de ce service. Vous vous souvenez peut-être de moi.
Lorsque vous m’avez écrit en 2012 me demandant de ne plus
prescrire de médicaments anti-alzheimers aux patients dont vous étiez le
médecin traitant, j’avais réagi vivement, vous remerciant sarcastiquement de
vous préoccuper de ma formation continue, et vous opposant entre autres l’étude
DOMINO en réponse aux données scientifiques que vous m’aviez communiquées. Bref,
je vous avais exprimé à quel point je trouvais votre attitude arrogante et
ridicule, a fortiori venant d’un généraliste, et je n’en ressentais que dédain.
Je viens de relire votre courrier, à la lumière de l’avis de
la HAS, et de la décision de déremboursement qui vient d’être prise de ces
médicaments. Je viens également ces dernières semaines de reprendre les données
de la littérature sur ces médicaments avec un regard neuf depuis un récent séminaire
de formation à la lecture critique. Je dois également vous informer que j’ai
cessé de répondre aux sollicitations commerciales des labos pharmaceutiques
depuis quelques mois. Cela ne se voit pas encore sur la base Transparence
santé, mais ça va venir.
Avec le recul je ne peux que constater mon erreur, et je
tenais par la présente à vous présenter mes excuses les plus sincères. Mon
principal regret, et vous le comprendrez étant comme moi un médecin préoccupé
essentiellement par l’intérêt des patients, est d’avoir nui durant tant
d’années à ces patients en leur prescrivant, avec conviction et sincérité, des
traitements potentiellement plus nuisibles que bénéfiques.
Ce constat est pour moi un traumatisme personnel très
important, et qui remet en cause en profondeur mon exercice professionnel. Comment
puis-je continuer à exercer sereinement ayant trahi à ce point le « primum
non nocere » qui doit seul guider notre action de soignants ?
Certains parmi mes proches et quelques confrères me disent « mais tu ne
pouvais pas savoir ». Je leur réponds que si justement, je pouvais savoir
car les données étaient accessibles depuis des années, comme vous me l’écriviez
à l’époque. Je leur réponds aussi que l’ignorance, pour un professionnel de
haut niveau, alors que les connaissances existent, ne peut être une excuse,
mais au contraire être regardée comme une circonstance aggravante.
Bref, je suis accablé.
Jamais je n’aurais pensé pouvoir subir à ce point des
influences dont je pensais être protégé par mon niveau d’études et le serment
d’Hippocrate. Jamais je n’aurais pensé non plus être manipulable à ce point.
Lorsque j’ai intégré il y a quelques années cette consultation de la mémoire au
sein du CH de XXX, j’ai vécu cet événement comme une consécration et une
reconnaissance professionnelles majeures. Moi, jeune gériatre, j’allais
fréquenter les leaders de la maladie
d’Alzheimer, prendre en charge les patients que je pensais si maltraités
par leurs médecins généralistes qui n’y connaissaient rien (ce qui est encore
le cas, rassurez-vous), j’allais être en pointe dans ce qui apparaissait être
la maladie du siècle. Quel plus bel aboutissement pour un jeune médecin qui se
destinait à la gériatrie dès ses premiers stages d’externe à l’hôpital, touché
par les situations que vivaient les personnes âgées !
Vous imaginez mon désespoir de réaliser que cette structure
à laquelle je me suis dévoué n’a servi que de rabattage des patients pour leur
prescrire ces traitements. Sous l’influence de mes maîtres, et de ceux qu’ils
servaient (et continuent à servir), il fallait prescrire pour toujours plus de
patients, quitte à manipuler les résultats des examens, à poser des diagnostics
par excès, à étiqueter parfois, comme avec la patiente pour laquelle vous m’aviez
interpelé, maladie d’Alzheimer des troubles cognitifs passagers et bénins, à
prescrire deux (j’ai même vu trois !) médicaments antialzheimers, à mentir
aux malades et à leurs familles, à augmenter progressivement le nombre de
malades potentiels, etc. Et je ne parle pas des centaines de millions d’euros
de la solidarité nationale gaspillés, détournés ainsi... Je réalise aujourd’hui que
j’ai construit ma carrière au sein de ce qui n’est somme toute qu’une officine
de l’industrie, au service de laquelle j’étais, en toute bonne foi, sans m’en
rendre compte.
Je suis catastrophé.
Je ne sais comment réparer tout cela. J’ai bien
conscience que le courrier que je vous adresse aujourd’hui poursuit cet
objectif, et j’en perçois en même temps le caractère insuffisant. J’ai
découvert récemment, sur le site d’une association que vous connaissez
peut-être, le Formindep, le témoignage bouleversant d’un psychiatre américain,
Daniel Carlat. Celui-ci, tout comme moi aujourd’hui, avait découvert à quel
point il avait servi l’intérêt des laboratoires, croyant servir celui des
malades. Depuis, son combat est de convaincre à quel point ces intérêts sont,
dans une société marchande et ultralibérale où seuls le profit et la cupidité
servent de normes, inconciliables la plupart du temps. Hélas, je ne pense pas
que j’aurais le courage de ce psychiatre, mais aujourd’hui je prends la
décision de quitter ce service de gériatrie où j’ai cru progresser
professionnellement, et d’arrêter les consultations de mémoire que j’y
réalisais. Ma première priorité maintenant sera de me protéger des influences
pour pouvoir protéger les patients dont j’ai hélas trahi la confiance au long
de ces années, parfois au prix de leur santé, peut-être pour certains au prix
de leur vie. Je resterai avec ce doute terrible. Je ne vous connais pas mais vous êtes le premier confrère à qui
j’annonce ma décision.
J’espère pouvoir remonter un jour, et j’espère que ce
courrier sera la première étape de ma « conversion » (veuillez
excuser ce terme religieux mais je n’en vois pas d’autre), pour me remettre à
croire à la médecine et en moi-même.
Vous renouvelant mes excuses pour mon attitude, et vous
remerciant pour votre opiniâtreté (je constate maintenant à quel point ça n’a
pas dû être facile de s’opposer ainsi aux puissances dominantes), je vous
adresse, cher confrère, l’expression de mes salutations les plus respectueuses.
J’espère pouvoir vous rencontrer un jour et vous serrer la main,
chaleureusement.
Docteur P. S.
XXX le 4 juin 2018
Vous l'avez compris. Il s'agit d'une lettre fictive que je ne recevrai jamais.
Ha ha ha! Ouf! j'ai eu peur un moment! Quelle émotion! les yeux humides de cette reconnaissance; donc refais-nous le coup en 2019 le 1er avril.
RépondreSupprimermalheureusement la maladie d’Alzheimer est très grave inguérissable mais il faut avouer que les medicaments peuvent retarder les effets de la maladie
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