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Médecine et dépendances


Le pire c'est qu'il n'est pas pire que les autres. Il serait même dans la bonne moyenne des généralistes. Il tient un dossier médical informatisé, son cabinet médical est propre, en bon état et fonctionnel, il y a de l'eau dans sa salle d'examen pour se laver les mains, les WC fonctionnent, les tarifs sont affichés, il prend les patients à l'heure avec son sourire. Signe de son souci de qualité : il a même des brassards de taille différente pour son tensiomètre qui est à mercure. Il reçoit environ 30 personnes par jour, ne fait quasiment pas de visite à domicile.

Tous les soirs il envoie par internet ses feuilles de soins électroniques à la sécu et les statistiques de son activité aux laboratoires pharmaceutiques (par l'intermédiaire d'IMS Health, activité pour laquelle il reçoit des bons d'achat). J'ai même eu la surprise de découvrir qu'il était abonné à Prescrire en voyant arriver le dernier numéro par la poste, entre des exemplaires de Pornorama du Médecin et Infect Médecine. Mais où sont les autres numéros de Prescrire ? Pas dans son cabinet en tout cas. Sans doute les conserve-t-il chez lui, là où sont les choses importantes... Il ne reçoit qu'un VM par jour sur rendez vous sauf le lundi, soit 45 X 4 = environ 180 par an, depuis 17 ans qu'il est installé, ce qui est en dessous de la moyenne nationale.

Pas pire que les autres, je vous dis.

17 ans de VM, ça vous marque un généraliste. Enfin quand je dis marque... Il faut faire le tour de son cabinet pour se rendre qu'elles sont là les marques. Et encore, j'ai pas ouvert les tiroirs, et manifestement, il doit faire le ménage régulièrement.

Je n'ai pas compté non plus les brochures, les CD rom et les livres médicaux sur les rayons de sa bibliothèque, celle où je n'ai pas vu les numéros de Prescrire qu'il reçoit. La majorité de ces publications sont des cadeaux des représentants de commerce des labos, ou contiennent des pubs de médicaments. J'y ai retrouvé par exemple l'excellente publication du pathétique collège national des généralistes enseignants, vous savez ceux qui prennent du plaisir à se faire trainer dans la boue (c'est une autre expression, plus crûment intérieure, qui m'est venue à l'esprit) par les hospitaliers-universitaires en espérant qu'un jour on leur accordera un strapontin universitaire pour pouvoir mettre professeur sur leurs ordonnances et leur plaque. Je parle de l'excelllent opuscule nommé "Décider pour traiter"... Une compilation commentée de quelques essais cliniques utiles soi-disant à la pratique médicale.
Vous connaissez pas l'histoire ? Je vous raconte l'espace d'une parenthèse, ça vaut son pesant de turpitude. Cette publication existait en deux versions : une version intégrale que vous pouviez acheter à un prix dissuasif pour un médecin normal à qui tout est gratuit grâce aux labos, et une version expurgée que vous offrait généreusement le VM du laboratoire qui la finançait. Cette version labo était oportunément censurée des essais cliniques qui mettaient à mal les médicaments que vendait cette firme (Sanofi, mais je n'en suis plus sûr). Mais le CNGE ne reculant devant aucune hypocrisie mettait à la disposition gratuite des enseignants généralistes (voir ce terme dans le Dictionnaire bête et méchant) un supplément contenant les articles censurés dans la version commerciale, accompagné d'un courrier pitoyable d'un responsable de cette structure tentant de minimiser la honte.

Notre médecin-pas-pire-que-les-autres, n'ayant pas le bonheur d'être enseignant généraliste et préservant ainsi ses hémorroïdes, ne détient donc dans ses rayonnages que la version pharmaceutiquement correcte de cet opuscule offert par le VM de service, ce qui lui permet donc d'avoir accès à une information sélectionnée au mieux des intérêts industriels. Mais qu'on se rassure, manifestement il n'a pas consulté régulièrement ce livre.

Fermons la parenthèse et revenons à nos marques.

Je me suis donc amusé, si on peut dire, à noter toutes les traces des labos visibles dans son cabinet. Je vous invite à ne pas lire la liste complète de ce qu'il faut bien appeler des défécations commerciales qui parsèment ce lieu de soins, surtout si vous maîtrisez un minimum d'informations sur les ravages sanitaires que provoquent la présence des firmes pharmaceutiques dans le soin. Vous risquez de vous faire du mal.

Contentez vous simplement de contempler la taille de la liste. Une bonne énumération vaut mieux qu'un long discours.

Dans un prochain post, je vous communiquerai quelques ordonnances de ce médecin, et alors vous n'aurez besoin que d'un esprit aussi tordu que le mien pour faire le lien entre ce qui encombre son cabinet et ce qui encombre les ordonnances de ses patients.

Vous êtes prêts ? C'est parti.

D'abord le support, ensuite le nom du labo, enfin le nom du médicament. L'ordre est celui de la visualisation.

On commence par ce qui est sur le bureau du médecin ou à sa proximité directe.

  • Stylo - Boehringer - Protection PLus
  • Tapis souris - Sanofi aventis - Ketek
  • Post-it - Astrazeneca - Zomigoro
  • Carnet - Pfizer Novartis - Exforge
  • porte-cartes de visites - MSD - Singulair
  • Tampon encreur - Altana - Eupantol
  • Boite plastique - ? - Tahor 10
  • Calendrier - Bristol Myers Squibb - Pravadual
  • Boite de mouchoirs - GSK - Infanrix Quinta
  • Carte de diabétique - Pfizer - Ozidia
  • Aiguilles dextro - Johnson et Johnson - Lifescan
  • Disque de grossesse - Bristol Myers Squibb - Fungizone
  • Règle créatininémie - GSK - Arixtra
  • Règle pour la sensibilité neurologique - Roche - Apranax
  • "Palette des saveurs" - Abbott - Ensure
  • fiche poso - Upsa - Skenan
  • Guide antibiotiques - RPR Spécia - Pyostacine
  • Atlas de surface corporelle - Léo - Daivobet
  • fiches poso - ?- Moscontin Sevredol
  • guide biologie - Upjohn
  • guide marqueurs tumoraux - Cis Bio International
  • Fiches hépatites - SOS hépatites
  • Fiches poso - Janssen Cilag - Durogésic
  • Fiches poso - BMS - Skénan LP
  • "Guide de l'insertion" - Sanofi - Tranxène
  • guide de prescription - aventis - Lovenox
  • guide insulinothérapie - Lilly - Humalog
  • guide du traitement du diabète - Lilly - Byetta
  • Laits maternisés - Milupa
  • Autocollants posologie - Léo - Innohep
  • porte-stylo - ? - Ciblor
Maintenant le reste du cabinet de consultation :

  • loupe - ? - Mizollen
  • horloge de bureau - ? - Tavanic
  • tableau anatomie - Ménarini
  • tableau migraine - Ménarini
  • 7 tableaux anatomie articulaire - Novartis
  • boite abaisse langue - Novartis - Loxen
  • METRE RUBAN SANS MARQUE !!!!!!
  • lampe - Procter et Gamble - Cacit D3
  • lampe - sanofi-winthrop - Maxilase
  • tableau grains de beauté - Schering
  • boite abaisse langue - Pharmadent - Paroex
  • boite compresses - Thérabel - Nexen
  • Spray sérum physiologique - Urgo - Urgotul Duo
  • lingettes - Solvay - Teveten
  • boites spéculum oreilles - Servier - Daflon
  • marteau réflexe - ? - Doliprane 1000
  • marteau réflexe - ? - Fortzaar
  • monofilament - logo de médicament non identifié
  • pied à coulisse pour mesure dermato - ? - Diprosone
  • lingettes - GSK - Naramig
  • Carte des zones de paludisme - GSK - vaccins maladies tropicales
  • porte sparadrap - sanofi aventis
  • fiche ostéoporose - Lilly
  • spéculum nasal - ? - Nasonex
Soit : 54 objets commerciaux exposés directement à la vue dans un cabinet de moins de 20 mètres carrés. Sans compter, je le redis, les publications papier ou électroniques.

Je vous disais que c'était un médecin-pas-pire-que-les-autres et au contraire. En effet :
  • Je n'ai rien vu dans la salle d'attente venant des firmes, sauf des brochures "voyages à l'étranger " signées du labo GSK.
  • Son stéthoscope, son tensiomètre ne portent pas d'autres marques que celles du fabricant.
  • Je n'ai pas vu de publicité sur ses ordonnanciers autres que celles du fabricant
  • Son logiciel médical n'a pas de publicité (à part le fait d'être branché sur le Vidal qui est un annuaire publicitaire).
Pour la bonne compréhension de ce post, il me semble utile de rappeler que :
  • selon l'article L 4113-6 du code de la santé publique, il est interdit aux médecins de recevoir des cadeaux et aux labos d'en donner. L'ordre des médecins tolère les cadeaux de valeur négligeable (moins de 30 euros) et utiles à la pratique.
  • la remise d'échantillons de médicaments est interdite.
  • aucune étude n'a jamais démontré que les cadeaux de petite taille sont moins efficaces que les gros pour influencer les récipiendaires. Au contraire, la psychologie sociale montre que les petits cadeaux endorment plus facilement la vigilance que les gros et inconsciemment influencent davantage. D'ailleurs si ce n'était pas le cas, pourquoi les labos parsèmeraient-ils les cabinets de tous ces gadgets ?
  • l'article 5 du code de déontologie médicale dit : (article R.4127-5 du code de la santé publique) Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit.
  • les médecins et leurs responsables (voir par exemple les déclarations de Bernard Ortolan, président du conseil national de la formation médicale continue, qui se répand sur des sites de laboratoires pharmaceutiques) restent pour leur immense majorité persuadés, en vertu de la grâce sanctifiante du serment d'Hippocrate (voir ce terme dans le dictionnaire bête et méchant), qu'ils sont capables de "faire la part des choses" et ne sont pas influençables.
Le problème c'est pas l'aliénation de l'indépendance des médecins, c'est surtout les conséquences sur la santé et les soins de ceux qui leur font confiance.

Patients : ne tombez pas malades si vous voulez rester en bonne santé !

Commentaires

  1. J'aime toujours beaucoup venir par ici,
    En plus d'être instructif c'est sacrément drôle et diablement vrai (les généralistes enseignants, mon passage préféré...). Merci ! :-)

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  2. Merci Marie, ton blog n'est pas mal non plus ;-)

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  3. édifiant ! belle étude rétrospective...
    bravo

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  4. Maintenant tous les cadeaux, même petits, sont interdits. Théoriquement, le problème ne se pose plus. Vous êtes sûr pour les échantillons ? L'article R5046-2 semble dire le contraire.

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  5. A Tom Rakewell :

    Pour les cadeaux : l'Ordre tolère les cadeaux inférieurs à 30 euros. Mais si vous lisez bien l'article L4113-6 du CSP (loi anti cadeau) vous voyez que les cadeaux sont interdits TOUTEFOIS, ça ne s'applique pas dans les conventions de recherche, dans le cadre de la formation et des congrès, et ça ne doit pas empêcher des "relations normales de travail"...
    Qu'est ce que des relations normales de travail quand il s'agit d'un représentant de commerce, sinon offrir des avantages.
    Cette loi est une vaste tartufferie.

    Pour l'interdiction de la remise d'échantillons par la VM, il n'y a aucun doute.
    L'article auquel vous faites référence n'existe pas dans le CSP, ni dans le code de la SS.
    L'article concernant la remise des échantillons est le L5122-10 du CSP. Il précise que des échantillons ne peuvent être remis que sur demande du professionnel, et sont interdits à visée promotionnelle. Les cadeaux de "valeur négligeable" sont autorisés s'ils ont un rapport avec l'activité professionnelle.

    L'Article R5122-17 du CSP précise les modalités de remise des échantillons (demande écrite datée, taille et quantité limitée, etc.)

    Le résultat est visible dans le cabinet de ce médecin décrit dans mon post.

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  6. J'ai cru comprendre que la charte de la visite médicale et la HAS (certification) interdisait désormais tous les objets pouvant être vendus dans le commerce, à l'exception des remis pédagogiques (genre écorché de prostate) et les matériels de démonstration (genre chambres d'inhalation).

    Désolé pour le "faux" numéro de code, j'ai dû mal lire dans Légifrance. C'est bien le L5122-10. Je n'avais pas compris que les échantillons devaient être livrés par un service spécifique.

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  7. Si la charte de la VM était appliquée ça se saurait.
    Demander à n'importe quel VM un peu honnête (c'est à dire en dehors de ses heures de travail, ou s'il a été licencié).

    La Charte de la VM n'est qu'un instrument de com. pour accroître la crédibilité de la VM, et n'a aucune valeur d'opposabilité. Pour l'avoir étudiée à fond à l'époque, à la demande même de la HAS (si, si !), ses soi-disant engagements sont uniquement déclaratifs, et il n'y a absolument rein de prévu pour la vérifier sur place. Comment cela serait il possible d'ailleurs ?

    Elle a exactement la même valeur que les chartes promotionnelles style "élu produit de l'année" que l'on voit dans les pubs télévisées. Sauf que là, la HAS y croit, c'est encore plus pathétique et le Leem se tord de rire rien qu'à y penser.

    Le meilleur résumé de la réalité de la charte de la VM et de la certification des firmes est là :
    http://www.formindep.org/Certification-de-la-visite
    On peut lire également ce qu'en a écrit Prescrire.

    Quant aux cadeaux, je rappelle que l'ordre "tolère" les petits cadeaux, dont on sait en psychologie sociale qu'ils ont autant d'influence que les gros, et que la loi autorise les invitations et les voyages pour faire de la formation sponsorisée par les firmes.

    Si tu es médecin tu sais peut-être qu'il existe maintenant des VM spécialisés dans les médecins qui ne reçoivent plus la VM (sic !) et qui sont chargés d'offrir des invitations à des congrès de labo. Authentique. La charte de la VM, ils s'en torchent.

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  8. J'ai bien écrit "théoriquement" :)

    Je ne suis pas médecin, j'ai travaillé dans la DRH d'un grand labo il y a quelques années et j'y ai gardé des liens. Selon mon contact (que je crois fiable), leur propre code éthique (purement déclaratif bien sûr) proscrit aujourd'hui toute forme de cadeau, sauf les exceptions que j'ai citées. Dans les quelques séminaires de VM auxquels elle a assisté, on leur dirait de bien respecter le code. Pour éviter de se faire serrer bien sûr, pas par Bisounoursitude. Ça coincerait essentiellement au niveau des directeurs de région et des VM eux-mêmes, qui ont peur de perdre du chiffre et donc leur gagne-pain.

    Evidemment ça revient à taper sur le lampiste, mais on retrouve dans toutes les grosses boîtes une dichotomie entre ce que le discours interne "du haut" (direction générale, DRH) et ce que traduit "le bas" (management intermédiaire/RH locaux) et les directions les plus opérationnelles. Essentiellement "on sait ce que parler veut dire, continuez comme avant les gars". Ça vaut pour les codes d'éthique, le code du travail, etc. J'ai testé pour vous le combat "la DRH vs. les opérations" :(

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  9. tip top de pouvoir lire les commentaires de "l'autre bord" (tom) !

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