- Ah, la crise de la démographie médicale !...
- Ah, la pénurie de médecins généralistes dans nos campagnes !...
- On ne peut plus se soigner, ma pauv'dame !
- Mais que font les élus, le gouvernement ?
- Les médecins ne veulent plus travailler de nos jours ! Tous des fainéants !
- Maintenant je dois faire des kilomètres pour trouver un médecin.
- Impossible de trouver quelqu'un la nuit ou le dimanche pour mon rhume, mon renouvellement de pilule, un certificat de pétanque, etc.
J'ai dit dans un autre post ce que je pensais de la crise de la démographie médicale et comment les médecins et les zautorités avaient été amenés à créer le marché de la consommation médicale dans les années 70-80, et qu'ils se trouvaient maintenant pris au piège consumériste dans lequel ils avaient enfermé les patients (avec leur accord il faut bien le reconnaître) : c'est pratique SOS Pizza à domicile.
Mardi 25 novembre à 20 h 35 sur France 5, la rediffusion du film de Gilles Cappelle tourné en 2006 : "Les médecins, du mythe à la réalité : chronique d'une catastrophe annoncée", nous rappelle cette situation.
Mais la semaine dernière c'est, une fois n'est pas coutume et sans doute bien involontairement, TF1 qui nous a permis de mieux appréhender les dessous de cette question.
Mardi 18 novembre à 23 h 20 était en effet diffusé un numéro du "nouveau" magazine de TF1 "Enquêtes et Révélations". Ce magazine remplace avantageusement le pourtant déjà excellent "Droit de Savoir" anciennement présenté par Charles Villeneuve, ancien légionnaire récemment passé au PSG. Mais qu'on se rassure, la direction éditoriale, elle, n'a pas bougé. Rigueur et éthique, donc.
Ce numéro était consacré à la santé, avec un titre pas racoleur du tout :
"Fraudes, abus et manque de moyens : qui menace notre système de santé ?" Attention, ça va enquêter et révéler. Accrochez vous à votre canette !
Pour les intrépides cette émission peut être regardée là. Attention, le téléchargement prend du temps (fichier de 850 Mo) et l'émission dure près d'une heure trente, et le reportage dont je veux causer se trouve à peu près entre le premier tiers et la moitié de l'émission. Vous pouvez regarder le reste de l'émission d'un derrière distrait et néanmoins nauséeux.
Au programme différents reportages sur les immondes crapules qui sabordent notre admirable système de soins : les médecins compromis avec l'industrie, ceux qui refusent de soigner les pauvres, font des arrêts de travail bidon et les jeunes qui ne veulent plus travailler, les ambulanciers qui transportent des malades à pied, les pharmaciens et leur personnel qui se font rembourser des ordonnances bidon, etc., et bien sûr ceux, les purs, qui luttent contre ces scandales : la sécurité sociale et sa police, dont certains de ses représentants n'auraient sûrement pas été recalés à l'examen d'entrée à la Stasi, les élus, les médecins vertueux (il en reste, au moins un), etc.
Bref, rien ne change, tout est pareil dans le monde merveilleux de TF1 et de son temps de cerveau disponible.
Arrivons donc à notre sujet.
Un village du Puy-de-Dôme se retrouve donc sans médecin généraliste. Par un reste de charité chrétienne dont je n'ai pas encore pu me défaire, je ne dirai pas son nom que j'ai d'ailleurs oublié. Quand je dis un village, il s'agit plutôt d'un "pôle rural" si on en croit son sympathique et dévoué maire. 2 000 habitants au bourg, mais 7 000 dans l'ensemble du secteur. De quoi se remplir les poches pour un médecin libéral digne de ce nom. En plus, selon les nombreux mailings envoyés par le maire, ce charmant village bénéficie des dernières modernités : eau courante dans les maisons, électricité, téléphone, télévision avec TF1 et M6, bar-tabac, ... Non, je déconne.
Mais voilà, personne ne vient. Aucun médecin français ne vient, ni même ne se manifeste. On vous l'avait bien dit. Tous des fainéants qui ne veulent plus travailler. Pendant ce temps-là, les gens meurent, les vieux se déshydratent, les quelques habitants disposant d'une calèche doivent traverser les forêts envahies de loups et de chauffeurs (ceux qui brûlent les pieds de leurs victimes) pour aller à la ville se faire soigner dans les longues files d'attente aux urgences de l'ignoble anarcho-autonome Pelloux.
Alors que faire ?
Mais le libéralisme est là, bien sûr !
Avec ses chasseurs de tête, ses délocalisateurs prêts à importer des médecins qu'il sont partis débusquer dans les pays sous-développés, des médecins qui n'ont pas dans leur pays les revenus dignes de leur statut social et voient à leur portée l'Eldorado franchouillard, maintenant qu'ils font partie de l'Union Européenne. J'ai nommé : la Roumanie.
Et voilà donc notre maire auvergnat prêt à débourser 40 000 euros - vous avez bien lu : 40 000 euros dépensés par un auvergnat, c'est dire si la situation est grave ! - pour se payer les services d'une société chargée d'importer en France des médecins roumains pour remédicaliser nos campagnes agonisantes. Et les caméras de TF1 de suivre ces glorieux explorateurs dans leur mission salvatrice.
Vous vous souvenez peut-être de ces vieilles publicités néo-colonialistes du café Jacques Vabre, où un gringo en cravate plongeait une main méprisante dans le sac de café d'un campesino terrorisé à l'idée que son bon maître lui refuse le fruit de son labeur. Le gringo encravaté portait alors à son nez une poignée de café, et faisait comprendre au serf d'une moue expressive, que vraiment c'est de la merde ton café, Manuelito, pas bon pour les blancs. Et la pub se terminait par un slogan : "C'est pour vous que Jacques Vabre se donne tant de mal." Et bien ce mardi soir sur TF1 on a vu la version médicale de cette pub caféinée.
Voilà donc nos chasseurs de médecins en safari au pays des Roumains. D'abord visite surprise dans un grand hôpital local, histoire de surprendre un anesthésiste exportable pour vérifier sur le terrain qu'il est bien médecin. Des fois que. Puis déplacement dans la brousse pour aller sur place voir le candidat généraliste pour notre village auvergnat.
Parce que figurez vous qu'il bosse notre généraliste d'importation. Il a déjà son cabinet médical dans un autre village, de Roumanie, où il soigne des malades, même si ce ne sont que des Roumains, qui ne payent pas le médecin (horreur libérale ! Père Jean-Marc Sylvestre et Saint CAC40, protégez-moi) et même si ce n'est que pour gagner 400 euros par mois dans un système étatisé. "Ah oui, la médecine en France c'est beaucoup plus développé, explique notre candidat dans un bon français (les missionnaires ont dû faire un sacré boulot là-bas), et surtout on gagne beaucoup plus d'argent !"...
Le reportage se poursuit dans un salon d'hôtel où d'autres candidats sont examinés. "Oui, les dents sont saines, ça va... Dis bonjour en français maintenant. " - "Bonjour Madame", s'exécute l'autre candidat dans un splendide baise-main comme on en fait plus par chez nous (Nadine de Rothschild a fait du sacré boulot elle aussi !) "Je suis positivement enchanté de faire votre connaissance." - "Bon, OK, on le prend. Il est correct", indique notre maquignon à son collègue. Symbole ultime de l'intégration française : la remise officielle du dictionnaire Vidal de l'année, compilation publicitaire des meilleurs produits de l'industrie pharmaceutique que reçoit gratuitement tout prescripteur français - "Moi j'ai un exemplaire de 1994", explique le médecin aux anges. - Ainsi tout est accompli : le médecin reçoit l'onction pharmaceutique et va pouvoir prendre sa part au déficit français de la sécu française.
Et voilà, c'est parti pour l'Auvergne, non sans avoir fait pour le postulant une première visite de découverte du décor et de l'environnement : un trois-pièces cuisine réhabilité avec vue sur les "Champs-Elysées locaux" précise le commentateur dans un humour suffisant du plus pur style parigot dont il ne se départira pas tout au long du reportage. Et un cabinet médical tout aménagé par la municipalité du village. "Oui, ça me paraît bien", indique le médecin. Dans une réunion à la mairie, le maire rappelle le contrat : "Et t'es pas là pour 6 mois, hein ! J'ai pas claqué 40 000 balles pour rien. T'es là pour de loooongues années ! Compris ?"
Alors commence l'exercice du bon docteur Lenadjapleinlcu dans son nouveau village.
Et nos caméras de télévision viennent faire le point au bout d'un mois. Alors, on croule sous le boulot, docteur ? La file des malades s'étire 7 jours sur 7, à la sortie du cabinet médical et remonte le long de la rue ? La pénurie médicale est enfin comblée ? La population revit ? Combien de vies sauvées ? La population en liesse ne vous pas encore élevé une statue ?
Mon cul, oui ! A peine 50 consultations en un mois, un seul malade le jour où vient la télé. On l'interroge : "Pourquoi venez vous chez le docteur ? Qu'est ce qu'il vous arrive ? Vous êtes malade ?" - Réponse du patient : "Faut bien que tout le monde vive" !!
Hallucinant ! Ainsi la mairie s'est saignée aux quatre veines pour faire venir un médecin dans une région soi-disant démédicalisée. Un village roumain a perdu son médecin dans une région sans doute réellement démédicalisée, elle. Et tout ça pour quoi ? Pour voir un (je dis : un) malade par jour ? Mais elle est où, la crise démographique, les populations abandonnées livrées aux épidémies, au SRAS, au virus H5N1 et à Sarkozy réunis ?
Eh bien, portés par une déontologie qui me laisse encore sans voix, nos reporters vont chercher la réponse au milieu des autochtones, s'il en existe encore. Peut-être le médecin est-il arrivé trop tard ? Peut-être que tout le monde est mort et que les quelques survivants sont partis grossir les bidonvilles de la préfecture, Clermont-Ferrand, puisque la vie n'était plus possible au village ?
Oui ! Les caméras de TF1 finissent après des heures de marche dans la brousse, traçant leur chemin au coupe-coupe, par retrouver quelques indigènes. Ils sont au stade de football. C'est donc là qu'ils se réunissent : peut-être pour une ultime assemblée rituelle afin de sacrifier quelques vierges aux dieux et implorer l'arrivée d'un médecin. Ils ne doivent pas être au courant ! L'information passe mal dans les campagnes, les pistes sont inondées, le garde-champêtre en arrêt maladie pour burn-out, le tam-tam en réparation.
Mais TF1 va leur apporter la bonne nouvelle, alléluia ! Un médecin est arrivé parmi vous ! Vous ne le saviez pas ? Précipitez vous... il suffit de suivre l'étoile dans le ciel, et vous le trouverez, là, entre l'âne et le boeuf, dans son cabinet. Hosannah !
Le journaliste, n'écoutant que son courage, finit par trouver une habitante : "Vous le connaissez le nouveau médecin ?" - "Heu, oui... mais vous comprenez, c'est un étranger !" Et les gens assis derrière elle sur les gradins du stade, en train de sourire grassement, genre, en voilà une qui dit tout haut ce qu'on pense tout bas. Hein, Jean-Marie ?
Tout devient clair.
La simple présence d'un étranger a suffit pour guérir tout le monde à Plouc City et à faire passer à la population tout problème de santé et surtout toute envie de consommer de la médecine : faut que le produit soit attirant quoi, on n'est pas du genre à être malade avec n'importe qui. Rien que la perspective de se faire toucher par des mains métèques suffit donc pour régler tous les problèmes de santé dans notre beau pays. Plus personne n'est malade ! Encore plus fort que le grand marabout africain de mon quartier, celui qui résout tout problème, fait revenir l'être aimé, et même démarrer les motos russes.
Voilà enfin la solution définitive au trou de la sécu : disposez quelques médecins étrangers judicieusement disséminés sur tout le territoire français et plus personne ne sera malade. Quelle meilleure illustration sanitaire du bon sens français rappelé encore dans un sondage récent après l'élection du noir Obama : "Oui, bien sûr je veux bien voter pour un noir, mais à condition qu'il soit élu dans un autre pays."
Et pendant ce temps là, les habitants du village roumain dont est parti le docteur Lenadjapleinlcu, eux, n'ont vraiment plus de médecin, ce médecin dont ils avaient, eux, vraiment besoin...
Vous voulez que je vous dise : il y en a vraiment encore beaucoup trop des médecins généralistes en France. Ce qui fait vraiment pénurie grave par chez nous, c'est les proctologues, les spécialistes des trous du cul.
Vive la France, vive la médecine. Vive TF1.
Très bon résumé cher confrère, j'ai ri avant de pleurer !
RépondreSupprimerExemple vécu dans mon coin du loiret où en tant que remplaçante (pas franco-française mais ça ne se voit pas!) j'ai été inondée de boulot (j'ai même laché des rempla jugés trop durs pour moi (et oui ! les jeunes ne veulent pas bosser !)) mais où le médecin roumain voyait 5 patients par jour !
A vomir ...
Merci pour ce blog
doclili
Un billet époustouflant encore une fois,
RépondreSupprimerJ'en apprends tous les jours ici, c'est sympathique
Merci beaucoup, et bravo (pas pour le fait de regarder assidument TF1 pour pouvoir nous conter ses belles histoires, quoique... mais pour le fond, la forme, et le reste :-) )
Marie
Merci à doctili et à Marie.
RépondreSupprimerFaites passer l'info.
Un poil cynique mais bien vu.
RépondreSupprimerC'est analogue à la situation de l'Afrique où les occidentaux dépeuplent les pays africains de leur médecins, là où il y a déjà pénurie grave.
Votre article est franchement désopilant.
RépondreSupprimerEn lisant votre phrase : la sécurité sociale et sa police, "dont certains de ses représentants n'auraient sûrement pas été recalés à l'examen d'entrée à la Stasi", j'ai vraiment ri avec quelques collègues, car nous avons déjà fait cette comparaison et prononcé ces mots depuis très longtemps, ce qui nous a valu d'être recalées au tréfond d'un placard, mais tant pis on préfère ça plutôt que de se parjurer.
Vous êtes à la sécu, Adèle ? Faites attention à vous, les courriels ont des oreilles...
RépondreSupprimerCf sketch
RépondreSupprimerj'aime pas les étrangers, ils viennent manger le pain des Français........ Un beau jour l'étranger s'en alla, le village n'eût plus de pain, c'était le boulanger.
Medecin generaliste italien de VENISE, installé en zone rurale (vilalge de 1500 h) depuis 2007 Je vous confirme que l'histoire du medecin rumain EST AUSSI' L'HISTOIRE DE MA INSTALLATION Dernier anne: une moyenne de 60C /mois UNE HONTE POUR LA FRANCE!!!
RépondreSupprimerCa commence à faire beaucoup de réactions de médecins étrangers. Ils disent tous la même chose.
RépondreSupprimerY aura-t-il un journaliste digne de ce nom pour enquêter sur le racisme ordinaire de nos campagnes ?
La France est elle un pays de beaufs ?
Quelle évolution depuis le sketch de Fernand Raynaud ?
http://www.dailymotion.com/video/x28x5i_fernand-raynaud-le-raciste-1972-fr_fun