Qui a lu et se souvient de la bande dessinée de Jean Van Hamme et Griffo : SOS Bonheur ?
Parue en 3 tomes à la fin des années 80, elle a fait l'objet d'une édition intégrale publiée dans la collection Aire Libre chez Dupuis en 2002, rééditée à plusieurs reprises.
Jean Van Hamme raconte, avec la maestria de conteur qu'on lui connaît (scénariste de XIII, Largo Winch, etc.), ce qui se passe dans une société où tout est organisé "pour assurer le bonheur théorique du plus grand nombre, et, ce qu'il advient de ceux qui, volontairement ou non, s'en écartent". Ainsi Van Hamme présente-t-il son projet dans l'introduction de l'édition intégrale.
A travers 6 récits, il aborde 6 éléments fondamentaux de notre société : le travail et son sens, la santé et la protection sociale, les vacances, le fichage des citoyens, la limitation des naissances, et la création artistique et culturelle. Le septième récit rassemble les personnages des 6 précédents pour une conclusion "révolutionnaire".
A l'issue de la première lecture de ce livre, je suis rentré halluciné de ce voyage littéraire au sein de SOS Bonheur. Ce que Van Hamme avait imaginé au milieu des années 80 et qui était une anticipation cauchemardesque de la société, me livrait aujourd'hui presque sans exagération la société dans laquelle je vis maintenant et que nous sommes en train de construire. Pas une page où je ne me disais : "Mais oui ! c'est exactement ça..."
Je n'ose pas suggérer que la lecture de SOS Bonheur, facilitée par le fait qu'il s'agit d'une bande dessinée, devrait être rendue obligatoire dans tous les lycées, car je tomberai exactement dans le même dramatique travers que dénonce Van Hamme : vouloir à tout prix le bonheur des autres.
Je ne puis donc qu'en conseiller fortement la lecture. Et en particulier, l'épisode 2, intitulé "A votre santé !" qui est introduit de la manière suivante :
"L'affilié a pour premier devoir de protéger sa santé. [...] Les agents de la Police Médicale auront les plus larges pouvoirs de surveillance et d'investigation pour sanctionner les contrevenants." Circulaire 97/5204 bis de la Caisse Nationale d'Assurance Médicale Unifiée.Cet épisode raconte l'enfer d'une mère avec son enfant, dans un système d'assurance maladie, où, explique Van Hamme, le "meilleur moyen d'enrayer son déficit chronique est d'interdire aux gens de tomber malade", puis ce qu'il se passe quand elle décide de sortir du système, car bien sûr, elle "a le choix".
Je mets ici trois pages significatives de cette histoire en souhaitant qu'elles ne vous donnent qu'une envie : la lire intégralement.
Cliquer sur chaque page pour la lire en grand format.
Et puis, j'ai lu dans le Monde daté du 18 octobre 2008 cet article de Sylvain Cipel intitulé : "Se soigner plus pour gagner plus".
Cet article décrit la politique d'une entreprise états-unienne qui décide de prendre en main la santé de son personnel, compte tenu de l'état de la couverture sociale et du coût des soins aux Etats-Unis .
Cliquer sur l'article pour le lire en grand format. Il est également disponible à la fin de ce post.
J'y ai lu exactement la même histoire que celle que raconte SOS Bonheur, avec les affiches dans l'entreprise qui proclament : "L'exercice physique ajoute des années à votre vie et de la vie à vos années", ou "n'oubliez pas votre fil dentaire", "manger sainement".
Et bien sûr, là aussi, "chacun a le choix" dit la responsable de la communication de la firme.
Comparez vous-même avec les pages de la bande dessinée mises en ligne...
La dictature sanitaire est en marche, chers assujettis sociaux, et il ne faut pas beaucoup d'imagination pour se rendre compte que le mécanisme est bien lancé de ce côté aussi de l'Atlantique. Vous avez entendu parler de Sophia, le programme de la sécu qui s'adresse aux diabétiques ? Ou des "programmes d'éducation thérapeutique" et des "actions d'accompagnement" des patients, qui seront organisés et/ou financés par l'industrie pharmaceutique, prévus par le projet de loi "hôpital, patients, santé, territoire" de Roselyne Bachelot (article 22) ?
Ce mécanisme totalitaire ne trouve-t-il pas aussi son illustration dans le fait que la politique de cette firme états-unienne est présentée dans cet article comme un "modèle", avec lequel l'auteur ne semble pas prendre de distance, en s'interrogeant même sur le fait de savoir s'il est ou non exportable.
Reviens Illich, ils sont devenus fous !
-----------------------------------------Se soigner plus pour gagner plusLE MONDE | 17.10.08 |ike Critelli est un drôle de président. Cet homme de 60 ans ne bouge qu'avec son compteur de pas à la ceinture. S'il n'a pas fait ses 10 kilomètres quotidiens, il descend en fin de journée finir sa marche sur un appareil en salle de gym, au siège de l'entreprise qu'il a dirigée jusque récemment et dont il est toujours président non exécutif. Pitney Bowes (PB) - c'est son nom - est aussi une drôle d'entreprise : un parangon de vertu dans la couverture santé de ses salariés dans le paysage américain.C'est M. Critelli qui, encore directeur des ressources humaines, a pris le taureau par les cornes, il y a quinze ans, convaincu que, "pour l'assurance-maladie, les Etats-Unis ont tout faux". Sans remettre en cause la protection quasi entièrement privée qui y règne, il dénonce une "culture collective" où l'assurance-maladie est "uniquement perçue en termes de coûts, et non comme un investissement nécessaire sur le long terme".
Car, dit-il, l'Amérique est malade. L'Etat, avec deux programmes, ne protège que les plus de 65 ans (Medicare) et les plus pauvres avec enfants (Medicaid). Tous les autres doivent s'adresser au privé. Une option qui s'avère horriblement coûteuse : les dépenses de santé atteignent ici 17 % du PIB, contre 14 % dans les autres pays riches. Elles devraient dépasser 20 % en 2020.
L'Amérique est malade d'un système où l'individu se perd dans l'écheveau des centaines de "plans" d'assurances privées dont on ne sait jamais ce qu'ils couvrent exactement et où la bureaucratie est envahissante. Malade parce que 48 millions de personnes (dont 10 millions d'enfants) vivent sans assurance et que 100 millions d'autres sont mal couvertes : soit la moitié de la population. Le taux des affections chroniques (diabète, problèmes cardio-vasculaires...) y est le plus haut des pays développés. Depuis cinq ans, les tarifs des assureurs ont explosé, leurs prestations notoirement baissé. Pour des raisons de coût, selon un rapport fédéral de 2001, un malade sur cinq renonce à voir un médecin, un sur trois n'achète pas les médicaments prescrits. Leur prix et leur taux de remboursement sont "libres".
Rien de tel chez Pitney Bowes. Leader mondial dans la fourniture de systèmes et de services de gestion des documents et du courrier volumineux (services fiscaux ou banques, par exemple), cette entreprise emploie 36 000 salariés dans 130 pays, dont 23 000 aux Etats-Unis. La clé pour diminuer les dépenses de santé est d'améliorer celle des salariés, explique M. Critelli. Le moyen : "Modifier leur culture sanitaire en créant un environnement propice."
La directrice des ressources humaines, Johnna Torfone, abonde dans ce sens : "Aujourd'hui, la santé est devenue si préoccupante qu'elle est le principal ciment de la relation employés-employeur." Aux Etats-Unis, 66 % des salariés bénéficient d'un "plan santé" contracté avec des assurances privées par l'entreprise. Celle-ci participe à leur financement à une hauteur variable. Le salarié perd sa couverture s'il s'en va ou est licencié.
"L'immense majorité des entreprises cherchent à ce que la santé leur coûte le moins possible, regrette Mme Torfone. Quelle erreur ! Nous aussi devons des comptes à nos actionnaires, mais nous faisons la démonstration que, si investir dans la protection santé coûte au départ, cela rapporte à terme beaucoup plus.""En privilégiant la prévention et en responsabilisant les gens. Mais pour qu'ils changent, il faut des incitations." Chez PB, elles sont multiples et diversifiées. Investir comment ?
A Hartford (Connecticut), 900 personnes travaillent au siège. Le long des couloirs, d'immenses panneaux proclament : "L'exercice physique ajoute des années à votre vie et de la vie à vos années", ou "n'oubliez pas votre fil dentaire"... Il y a des ascenseurs, mais d'autres panneaux incitent à emprunter les escaliers. Au réfectoire, une banderole appelle à "manger sainement". Deux restaurants s'y côtoient. "L'américain normal", comme dit Colette Cote, responsable de la communication, et le "sain et nutritif". Près du premier, on vous rappelle combien "manger gras est néfaste". A côté, les prix de la nourriture saine sont inférieurs à ceux de la pizza et du burger frites.
"Chacun a le choix", dit encore Colette Cote. Oui, mais un choix soumis à une culture d'entreprise très prégnante. Une barre chocolatée ? Un distributeur est au bout du couloir. "Tant qu'à s'empiffrer, autant que les gens soient obligés de marcher..." Mais il y a bien plus important. "On a des médecins sur place et c'est gratuit, souligne Olivia Skiffington, de la division marketing. Les médicaments de base, antibiotiques inclus, sont offerts. On a des entraîneurs particuliers en salle de gym en fonction des prescriptions médicales. Pitney m'a payé le programme antitabac. Si besoin, ils vous offrent les huit premières visites chez le psychiatre. Ensuite, ils contribuent aux consultations."
Améliorer sa santé permet aussi au salarié d'arrondir ses fins de mois. Quiconque entreprend un programme PB pour cesser de fumer ou faire baisser son taux de cholestérol est soumis à des "objectifs". Chaque fois qu'il les atteint, il touche une prime. "Un employé peut gagner 225 dollars dans l'année, ce n'est pas rien", dit Elisa Jacobs, la nutritionniste chargée du programme d'amélioration sanitaire.
Médecin-chef de Pitney Bowes, Brent Pawlecki a "adoré" le dernier film de Michael Moore, Sicko, sur les carences les plus grossières de l'assurance-maladie privée aux Etats-Unis. Il dirige les 30 médecins et infirmières qui travaillent dans les sept dispensaires de l'entreprise. Un huitième est en construction. Il supervise aussi le centre pour salariées enceintes. Il dispose enfin de huit spécialistes chargés de négocier avec les compagnies d'assurances et de conseiller leurs "plans" aux salariés. Dans une autre grande entreprise américaine, il n'y aurait qu'une ou deux personnes pour ces activités, indique Jack Mahoney, qui a mis en place le système PB.
"L'écheveau de l'assurance privée est ahurissant, estime M. Pawlecki. Aucun salarié ne peut s'y retrouver. On ne sait jamais si on est couvert ou pas pour telle affection, telle opération. Nous-mêmes avons proposé jusqu'à 142 plans d'assurances différents aux salariés." Le programme PB n'en propose plus que 44. "On négocie avec les assureurs. On a les moyens de leur imposer un meilleur ratio coût-prestations. Quand l'assureur refuse à l'assuré de prendre en charge telle opération, ou le choix de la clinique qu'il souhaite, on soutient le salarié. Souvent, on gagne."
Brent Pawlecki ne jure que par le système Pitney. "Un salarié en bonne santé, c'est 30 % de moins sur les coûts sanitaires sur vingt ans. Et une consultation sur place, avec médicaments gratuits, nous revient bien moins chère que six heures d'absence pour une consultation à l'extérieur. Or 80 % des affections sont bénignes. En productivité, là encore, on est bénéficiaires."
PB veut démontrer qu'un hygiénisme actif est "rentable". Le principal avantage induit, explique Mme Torfone, est "l'adhésion collective de ses membres aux objectifs de l'entreprise". Mme Skiffington ne la démentira pas. Après son MBA en marketing, cette jeune femme a travaillé ailleurs. Aujourd'hui, elle déclare : "Je ferai toute ma carrière chez Pitney. Pas besoin de syndicat pour me défendre, ici on me donne tout ce que je demande."
Ce "système" est-il exportable ? Il faudrait réformer toute la protection santé aux Etats-Unis, tant elle empoisonne la vie des individus et des entreprises, dit Mme"il sera plus facile de résoudre notre problème en Irak que celui-là... En attendant, nous servons de modèle". M. Critelli est très actif dans le National Business Group on Health, où une cinquantaine de multinationales, conscientes que la protection médicale est devenue un fardeau immensément coûteux, réfléchissent aux manières d'enrayer la hausse des coûts.
Ce modèle ne vaut-il pas que pour les puissants, capables de mener une politique de prévention et d'imposer leurs exigences aux assureurs ? Aux Etats-Unis, indique M. Critelli, les produits frais sont vendus plus cher que la nourriture industrielle. "C'est une hérésie économique. J'ai obligé nos fournisseurs à inverser cet état de choses." Qui d'autre qu'une multinationale parviendrait à ces résultats ? Quel salarié devant s'assurer seul ou quelle PME aurait les moyens d'engager des fonds, comme PB, et d'attendre longtemps le "retour sur investissement" ?
Le docteur Mahoney admet cette réalité, mais il signale qu'une trentaine de PME de Colombus, dans l'Ohio, se sont unies pour mettre en place une protection santé collective. "La voie est là." Une voie imparfaite. Lui aussi juge "urgent d'adopter une politique sanitaire nationale, sinon l'Amérique court à la catastrophe. Notre système marche sur la tête. L'impératif serait de parvenir à une couverture maladie universelle. Mais les Américains n'ont aucune idée de la manière dont elle fonctionne ailleurs. On les a convaincus que ce serait le socialisme. Reste à l'entreprise à prendre ses responsabilités."
Cet épidémiologiste fut conseiller aux questions sanitaires de la Maison Blanche sous la présidence du républicain Gerald Ford (1974-1977). "C'est avec Ronald Reagan que la dégradation s'est enclenchée", estime-t-il. Une phrase, par les temps qui courent, qu'on entend de plus en plus aux Etats-Unis.
Sylvain Cipel
Merveilleuse référence, cette BD... je l'avais lue bien avant de rentrer en médecine, faudrait que je m'y replonge voir si les choses se montrent sous un autre angle.
RépondreSupprimerMerci aussi pour les billets précédents, c'est toujours acide mais diablement bien écrit !
Avec l'acide on décape le vernis du meuble. Alors on se rend compte que le meuble est vermoulu. Et même que c'est le vernis qui le maintient assemblé, le meuble.
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