Accéder au contenu principal

Paix d'aux fils mon fils


Quand j'étais enfant j'étais mignon. De chœur encore plus. Je me souviens de la "carte de jeune clerc". J'en avais une. Officielle. La photo d'identité. L'imperméable ciré noir. Les gros boutons argentés avec l'ancre de marine dessus. Les cheveux bien ras bien peignés. Le sourire qu'il fallait faire façon angelot, pas trop. Les grands yeux. Les longs cils. J'étais mignon... C'est dommage. Il faudrait que je la retrouve cette carte. Vous verriez. J'étais mignon. Vraiment.

Et puis bien élevé avec ça. Dressé. J'avais appris à dire "merci madame", "merci monsieur". J'adaptais : madame pour les dames, monsieur pour les monsieurs. "Excusez moi de vous déranger" je rajoutais même quand c'était le téléphone, quand il marchait. Les années 60. Ca plaisait aux grandes personnes. Plus elles étaient vieilles plus ça leur plaisait. "Et comme il est bien élevé en plus !" Tout pour plaire.

Lorsqu'à la fin de la messe l'Abbé Villette me prenait dans les plis de son aube, me serrait contre sa bedaine, grosse, molle, accueillante, j'en ressentais une sorte de fierté. Celle du chouchou au chaud. Moi et pas les autres. C'était tiède, épais, c'était affectueux. Mes parents étaient contents. Ça flatte. C'est comme ça les bourgeois. Les autres aussi ? Ah bon...

Le jeudi, à l'époque c'était encore le jeudi, je faisais du zèle. Après la fin de la séance de catéchisme, avec la dame caté gentille qui ne connaissait de l'évangile que ce que le fascicule Pierres Vivantes la chargeait de nous répéter, je restais seul, dans la cour du patronage, à attendre la messe du soir, que je servais.

Ça durait bien deux heures d'attendre. Peut-être plus. C'était long mais j'aimais ça. J'attendais à regarder les feuilles d'arbres coincées sous la grille qui faisait le tour du tronc. Y avait des fourmis qui couraient, grimpaient sur les feuilles tombées au travers, passaient dessous, sous la grille. C'était drôle. Intéressant surtout, pas si drôle en fait. Contemplation.
Shooter dans les graviers aussi, pour voir jusqu'où ils allaient, sur le goudron. Retaper dedans, toujours plus loin. Et puis je changeais de gravier. Si des fois il allait plus loin. Expérience.
Y avait aussi le mur, celui de la rue. Les trous entre les pierres, les bouts de mousse, je suivais le chemin, avec le doigt. Voyage.
Quel royaume ! Des fois un autre était là aussi pour la messe. Alors fallait parler, partager, fréquenter. Pff !... S'il avait un ballon, on tapait dedans. Ça occupait.

L'abbé Villette il avait des goûts pour la sculpture. Sans doute pas des talents, ça se serait su, mais au moins des goûts, c'est déjà ça. Un après-midi, entre le caté et la messe il m'avait pris dans son bureau. Il lui fallait un modèle. Il m'avait demandé. J'avais pas dit non bien sûr. D'abord c'était pas possible vu qu'il y avait que moi. Et puis le chouchou, quoi. Ca s'entretient le chouchoutanat. Ça se cultive, ça se bâtit, ça se pétrit. Je faisais plaisir au père. J'aurais ça à raconter le soir.

J'avais monté les marches dans la cour, à sa suite, important, missionné, rentré dans le bureau. Assis là sur la chaise. Il sculptait un Jésus sur la croix le Père Villette. Oh pas un atelier, pas du matériel. Juste un bout de bois et un couteau, son canif peut-être.
Il avait du mal avec les pieds l'abbé. Si, si, les deux pieds superposés sur la croix, retenus par le clou. Vous voyez bien. C'est pas si facile... Alors il m'avait demandé. De poser les deux pieds comme ça, l'un sur l'autre. Je me souviens plus s'il m'avait demandé d'enlever les chaussures. J'ai l'impression que non. Alors c'est que ça devait être en été. Seulement des sandales. Ça devait être ça. J'étais resté un bout de temps, un pied posé sur l'autre, pendant que l'abbé sculptait. Les copeaux sautaient, tombaient. Il fallait pas bouger. Ça avait dû marcher. Quelque part maintenant il y a un Jésus avec mes pieds, plus ou moins. J'vous dirais pas où.

Et puis ça avait été l'heure de la messe. J'enfilais l'aube. C'était fini les surplis. Vatican deux était passé. Fallait arrêter ces conneries. Place au progrès ! Dans la sacristie il m'aidait l'abbé. On n'est jamais trop aidé pour enfiler une aube. La corde autour du ventre. Serrée pas trop. La capuche ajustée. Voilà. On y allait.
Il me regardait au moment où il fallait chercher les burettes l'abbé, puis pour faire sonner la cloche. Je savais jamais le moment. C'est normal à 7 ans. Y avait coché "thuriféraire" sur la carte pas acolyte. L'"acolyte" c'était pour après, les au moins 10 ans ou plus. L'acolyte lui il connaissait le moment où il fallait apporter les burettes et sonner la cloche. L'abbé il avait pas besoin de le regarder l'acolyte, seulement le thuriféraire. C'est normal. J'ai jamais été acolyte, seulement thuriféraire. Une carrière gâchée.

Voilà. C'était mon souvenir de pédophilie ecclésiale. De l'authentique. Imprimatur, nihil obstat, imprimi potest et cætera. C'est pour fêter Pâques que je raconte ça. Il y a prescription. C'était son vrai nom l'abbé Villette. Pas de quoi fouetter un diacre hein ! Vous en attendiez plus hein ? Lubriques ! Je m'en doutais. Bien fait pour vous.

C'est bien plus tard que j'en ai été dégoûté de la religion. Y pas eu besoin de fréquenter les pédophiles pour ça, il a suffi qu'ils se disent chrétiens seulement et puis de les voir faire. Assez pour vous débecqueter, total, pour l'éternité, même s'il m'a fallu du temps pour réaliser. A cause de la tendresse au départ peut-être. Je l'avoue.

Commentaires

  1. Bien beau ce souvenir d'enfance, mais c'est vrai qu'on a envie d'arriver à la fin de l'histoire assez vite pour s'assurer qu'il ne s'est rien passé de grave après tout ce qu'on a pu découvrir sur la pédophilie dans le milieu éclésiastique.

    RépondreSupprimer
  2. Bah, y'en a qui résolvent les problèmes à leur manière...

    http://www.dailymotion.com/video/x7x04x_a-gaza-le-hamas-persecute-les-chret_news?start=3

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Aphorismes covidiens (2)

13 avril 25 On doit garder en mémoire que l'ensemble des administrations et bureaucraties sanitaires actuelles (ARH en 1996, puis ARS en 2010, direction hospitalière depuis 2005, sécurité sociale façon AXA de van Roekeghem, etc.) n'ont été mises en place, avec les directions appropriées, que pour instaurer et organiser une gestion néolibérale du système de santé : productivité, rationnement, ouverture au privé, "responsabilisation", culpabilisation et contrôle des usagers et des soignants, etc. Attendre de ces structures, simples effectrices des consignes ultralibérales de l'oligarchie, une action efficace et dans l'intérêt général pour la gestion d'une telle pandémie relève de la pure naïveté, pour rester dans l'euphémisme. David Graeber, encore lui, le rappelle et le démontre dans "Bureaucratie" . La bureaucratie soviétique n'était qu'un amusement à coté de la néolibérale. 26 Partout où les pires drames auront pu être év

APHORISMES COVIDIENS

5 avril 1 "Les périodes de péril mettent les âmes à nu" (email d'Irène Frachon reçu le 13 mars 2020, alors que nous échangions sur l'arrivée de l'épidémie) 2 Quand on voit  le nombre de médecins qui révèlent sur les réseaux sociaux des compétences exceptionnelles pour analyser avec précision l'information scientifique, y compris pour des études pour lesquelles une seule lecture suffit à se rendre compte de la faiblesse, on ose espérer que, forts de cette expertise, ils n'ont jamais prescrit ou conseillé (liste non exhaustive) : - de mammographie pour le dépistage du cancer du sein, - de PSA pour le dépistage du cancer de la prostate, - de médicaments antialzheimers, - de vaccin antigrippal pour réduire la mortalité chez les vieux, - de statines en prévention primaire, - de glitazones et apparentés pour le diabète, - la plupart des antidépresseurs IRS, qui n'ont pas démontré d'efficacité supérieure au placebo, - plus de deux neuro

Sirop d'Afssaps

J'ai reçu ça : Hier. Ça m'informe que je dois plus prescrire de mucolytiques et d'Hélicidine (bave d'escargot garanti de Bourgogne, recueillie le matin après la pluie, en pleine lune) aux chiards de moins de deux ans. Si. Ça m'informe que la toux chez le gniard de moins de deux balais c'est du gnangnan, ça se soigne en se rinçant le tarin du dit morveux, et que c'est pas grave. Si. C'est l'Afssaps qui le dit. Aux Prrrôôfessionnels de la santé. Si môssieu Charles !... Et en avril 2010 !... pas en 1950 !... pas en 80 !... en 2010 !... Putain ! Déjà ça commence à disjoncter sur les forums de médecins : de quoi ?... qu'est ce que ça veut dire ?... mais comment je vais le dire aux parents ?... les mucolytiques peut-être mais l'hélicidine quand même !... mais on nous l'avait pas dit !... mais encore des médicaments contre-indiqués !... mais quand est ce que ça va s'arrêter ?... Mais on est plus crédibles !... Bien sûr que vous êtes pl