Mme P., 42 ans prend du Subutex - j’avais proposé 8 mais elle trouve que 6 c’est mieux - hébergée chez sa mère, puis chez sa soeur, cherche à revoir son enfant "enlevé" par le père. A la dernière consultation elle venait d’absorber 7 comprimés de Valium, la rencontre avait été un peu difficile. Aujourd’hui ça va mieux.
Mme S., 76 ans, suivie par un médecin d'à coté qui vient d’avoir un accident. Son mari est en chimiothérapie, ils viennent de fêter leurs 50 ans de mariage. Elle a 4 hypotenseurs depuis 10 ans. Moi : "Vous n’êtes pas à 100 % ?" Elle : "Ah ? J’y ai droit ?"
Monsieur Mangeterre, qui vient tous les vendredis. "L’éducateur m’a dit que c’était bien". L’alcoologue m’écrit pour me dire qu’il va mal. Mais la consultation date de plus d’un mois. Depuis, celui qui l’héberge ne le séquestre plus. Il va mieux. La tension baisse. Il demande à soigner sa dermite séborrhéique.
Magali H., 21 ans, enceinte de 34 semaines. Troisième grossesse. "Je viens pour savoir si le col est bien fermé". J’avais fait la déclaration le 15 septembre. Depuis, sur le carnet de maternité, rien n’a été noté. Une lettre-injonction des services sociaux datée de novembre lui intimant l’ordre d’aller faire sa visite chez le docteur Bezolles. Poor people, Big Brother is watching you. Seul examen, une échographie début décembre. C’est une petite fille. Son prénom est écrit en gros sur l’enveloppe qui contient les papiers médicaux. En 4 mois elle n’a pris que 2 kilos. 49 kg aujourd’hui. Elle m’explique qu’elle a mal à la jambe gauche. "C’est depuis que j’ai dormi sur des carreaux." En fait, elle dormait dans le métro de Lille. De 18 à 31 semaines de grossesse, 3 mois à la rue, avec son petit ami, les deux enfants placés qu’elle ne peut voir qu’une heure le mercredi, à l’autre bout de la ville. Hébergée chez une amie depuis le premier janvier. Je comprends alors que l’échographie de décembre relève tout simplement de l’héroïsme.
Virginie T., 16 ans. Elle avait 7 ans quand je l’ai connue à la bibliothèque de rue que ma femme animait à l’époque dans le quartier. Elle, par contre, sa grossesse se passe super-bien. Je lui dis quand même que la prochaine consultation, celle du 9ème mois ça serait mieux que le gynéco la fasse. Elle est super heureuse. Sa mère a déjà tout acheté pour le bébé. Bien sûr il y a eu la période difficile, celle où son copain, effrayé, ne voulait plus la voir. Longue, longue consultation. La décision d’IVG avait été prise. Deux jours après, le copain était revenu. Longue, longue discussion avec lui. Le copain assumait. Mais il lui a dit qu’il n’allait pas reconnaître le bébé tout de suite comme ça elle pourrait toucher les allocations de parent isolé. C’est toujours pareil, c’est survie OU famille. On n’a pas droit aux deux chez les pauvres. "Et à l’école, ça se passe bien ?" "Super ! je l’ai dit à tout le monde. Mais je suis pas la seule... J’ai plein de profs qui vont accoucher ce trimestre."
Texte publié également sur le site de Martin Winckler.
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