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Monsieur l'Abbé

Monsieur l'Abbé,

Hier j'ai enterré une amie comme on dit.

Enfin j'étais pas tout seul à l'enterrer, l'église était pleine.
Je sais pas par chez toi, mais chez moi c'est pas souvent qu'elle est pleine l'église. Et puis c'était pas que des vieux. Parce que par chez moi c'est que des vieux. Enfin j'imagine, parce que j'y vais plus à l'église, ça fait une paire. Mais quand j'y allais, y avait déjà plus que des vieux, des bourges et leurs enfants, et de moins en moins en plus : les vieux ça crève, les enfants ça finit un jour par comprendre, et les bourges ça met dehors les ceusses qui sont pas bourges. C'est pour ça que ça se vide les églises, monsieur l'Abbé, au cas où on t'aurait pas mis au parfum. Et c'est pas plus mal.

Et ce coup ci dans ton église, Monsieur l'Abbé, pour l'enterrement de mon amie, y avait pas que des vieux, y avait pas beaucoup de bourges, quant aux enfants, le minimum requis : les petits enfants de mon amie, mes enfants, et c'était plein l'église. T'as pas pu pas t'en rendre compte, Monsieur l'Abbé, que c'était pas comme d'habitude ton église. C'est pas possible que t'ai pas vu.

Enfin, quand je dis une amie... Depuis qu'elle a mouru, je me fatigue à éviter de laisser remonter les souvenirs pour pas être tout le temps à chialer. Plus de trente années, ça compte. Et surtout c'est rare, surtout pour moi, quand je vois le nombre de connards que j'ai laissé, ou qui m'ont laissé, sur la route de l'amitié, une fois aperçu ce qu'ils valaient vraiment. Avec le temps, les amis on sélectionne, on exige, on examine, on scrute, on devient difficile... vieux... con.

Donc celle-là elle comptait. Ca fait partie de ceux pour qui quand on cherche les mots, c'est du fade, du délavé, du déjà servi. Les mots, c'est comme ça, on les use, on les superlate, on les fatuite,  et quand on a besoin, vraiment besoin, pour redire l'amour, pour l'émotion, eh ben, voilà, c'est élimé, c'est gaspillé. On voudrait du neuf. On trouve pas, alors on garde ça au fond, pour soi tout seul, et on rumine, comme un vieux, comme un con.

A 20 ans d'âge je l'ai connue, mon amie et son époux, et 20 ans c'était pas le si bel âge quoi qu'on dit, tu vois Monsieur l'Abbé. Des fois ça chie à cet âge. Mon amie était là avec son époux, j'y passais les soirées, armagnac, tabac, et chat sur les genoux, à parler pour comprendre ce qui m'arrivait, ou plus simplement à rendre tout ça supportable, une pause avant le retour vers l'enfer. "Allez zou !, pas de chichis !, tu restes là ce soir, pas de discussion !...", avec son accent auscitain. Je restais alors, et je m'endormais, là, comme sous une aile. Ces soirs là, ça allait...

Grâce à mon amie, j'ai eu une mère, celle qui console, celle qui cajole.
Puis, grâce à mon amie, mon épouse a eu une belle-mère, celle qui s'intéresse, qui s'inquiète, qui s'interroge, qui explique, qui dédramatise.
Et grâce à mon amie, mes enfants ont eu une grand-mère, celle qui s'émerveille devant un premier pas, un premier mot dit puis lu, un premier émoi, qui encourage, dorlote, s'amuse et amuse. Des mots fades, je vous dis Monsieur l'Abbé.

Croyez pas que j'avais non plus l'exclusivité de son amour, monsieur l'Abbé, c'est ça qu'aurait dû vous faire comprendre votre église pleine d'autres choses que de bourges et de vieux. Des "zou, pas de chichis, tu restes...", elle en avait pour beaucoup. Les habitants de sa cité, les enfants de l'école primaire de ZEP où elle était instit puis directrice, pour sa famille, son mari, ses enfants, puis ses petits enfants, les vrais. Pour ceux qui choisissent de donner sans rationner, le stock d'amour ça s'épuise pas.  "Allez zou ! pas de chichis..."

Si bien que quand son époux m'a demandé de lire la prière universelle à ta messe monsieur l'Abbé, mon angoisse, c'était d'arriver à lire sans fondre en larmes. Je me demandais comment j'allais faire. Penser à des conneries... Pas ça qui manque. Pourtant c'est pas des grands discours, cette prière universelle; quand les chrétiens prient pour l'univers, c'est du préécrit prédigéré, y a qu'à ânoner, mettre le bon prénom, celui du défunt, à la place des tirets, et c'est du tout cuit. C'est pas le grand moment d'émotion, mais c'était déjà trop pour moi. Comment j'allais faire...

Et c'est là que t'es arrivé Monsieur l'Abbé, avec ton sermon, et ton col romain qui pointait sous l'étole. Pourtant tu la connaissais mon amie, et si c'était pas le cas, t'aurais dû, elle t'aurait donné le mode d'emploi de l'évangile, de la vie. Si tu l'avais connue, écoutée, elle aurait pu te donner les bons mots, ceux qui parlent, ceux qui engagent, ceux qui servent et qui s'usent pas.
Grâce à toi j'avais plus envie de pleurer Monsieur l'Abbé... je suis resté dans la douleur, ça c'est sûr, mais rarement passé aussi vite de la tristesse à la colère. Jamais entendu un baratin aussi désincarné,  froid, livide. Y avait plus de vie qui émanait du cercueil devant toi que de ta bouche, Monsieur l'Abbé. Tu disais que le bonheur c'était pas ce que nous avait donné mon amie. Que c'était ailleurs, au ciel...  T'y connais vraiment rien en bonheur, monsieur l'Abbé. Ah ça t'aurais dû l'écouter mon amie. Pourtant un jeune cureton, - y en a donc encore - je me suis dit, c'est pas encore tout à fait blazé, ça peut encore ressentir de l'émotion, ça a pas encore eu le temps de soigner sa solitude, son désespoir et son incroyance dans la vinasse ou les mondanités entre notables. Y a encore un peu d'espoir... Ben non.
A moins que tu l'aies fait exprès. C'est peut-être ça je me suis dit. Peut être que tu as voulu nous faire sortir de l'émotion pour nous remettre en face de la réalité du monde. La vie continue. Peut-être. Mais je crois pas que t'étais assez fin pour ça, monsieur l'Abbé. A la façon dont tu t'es défilé à la fin on comprenait que t'en avais juste rien à foutre. Simple fonctionnaire.

Mais grâce à toi j'ai pas bafouillé monsieur l'abbé, pas une larme, pas une goutte. J'ai ânoné sans trébucher, en mettant le ton, tout comme y faut, façon leader d'opinion qui récite les diapos du labo pendant un symposium du congrès de la médecine générale, juste à mettre le bon nom du médicament dans les tirets. Alors, merci Monsieur l'Abbé.

A la sortie, t'étais déjà plus là, mais je peux te dire que tu faisais l'unanimité monsieur l'Abbé, ça marmonnait dans les groupes autour du corbillard. "Non mais quel con !" pleurait ma fille. C'est pas vrai, monsieur l'Abbé, avec un con, il y a des émotions, de la tendresse, de la douceur, de la chaleur. Toi t'es pas un con, monsieur l'Abbé, t'es juste un connard.




Commentaires

  1. ' l'enfer c'est les autres ....'

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  2. Voilà pourquoi les Vikings brûlaient leurs morts d'importance (pas les pleu-pleu non plus hein) avec leur femme, leurs chiens, et leurs chevaux. La crémation d'êtres vivants ça met toujours un peu d'émotion dans ce qui restera dans tous les souvenirs une belle cérémonie.

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